Amertume, quand tu
nous tiens
Jacky Murat, déclassé du Grand Raid alors qu’il avait gagné
En 1994, Jacky Murat franchissait la ligne d’arrivée du Grand-Raid en vainqueur. Pour une sombre histoire de carte non pointée, le coureur de la Plaine des Palmistes était
disqualifié. Encore aujourd’hui, il estime avoir été lésé. Et se
proclame vainqueur. Le Palmi-plainois incarne à merveille la
simplicité. Durant son heure de pause, le midi, il débarque en short
et débardeur, comme s’il allait courir, afin de répondre à nos
questions. Tranquillement, avec détachement, voire même une certaine
désinvolture, cet athlète hors du commun revient sur une carrière
qui l’a vu briller… à la Réunion. Et sur le Grand-Raid, cette
diagonale des fous, qu’il a domptée à une reprise.
C’était en 94. Jacky Murat raconte :
«Cette année-là, j’étais fort, très fort. Je survolais le parcours. A dire
vrai, je n’ai jamais retrouvé cette facilité en compétition. J’avais pas
loin d’une heure d’avance sur le second. En fait, j’étais très en avance
sur l’horaire. Trop pour certains pointeurs qui n’étaient pas à leur
poste. A un ravitaillement, il n’y avait personne. Je suis allé me
ravitailler dans un bar». Là, les soucis commencent. L’homme, qui court
par pur plaisir, ne voulait pas attendre ces messieurs pas vraiment
pressés. «J’ai pointé à Cilaos, explique-t-il. En revanche, à la Plaine
d’affouches, c’était fermé. Les pointeurs étaient dans le sentier, plus
haut. En retard. Il me semble que je les ai croisés. Ils ne pensaient
quand même pas que j’allais attendre. En plus, le parcours était mal
balisé». «TOUT ÇA POUR RIEN» Le bonhomme a du caractère. «Quand je
me suis présenté à l’arrivée, tout le monde pensait que j’avais gagné,
témoigne-t-il. Moi aussi. Mais Marie-Louise, le second, a porté plainte
pour toucher la prime du vainqueur. Plus de trois heures après la fin de
mon périple, j’étais disqualifié. Comment l’ai-je pris ? Je me suis dit :
“mince, tout ça pour rien”. Faire cette grande traversée seul et finir
loin devant les autres pour être éliminé, c’était dégueulasse (sic). Au
moins, si les organisateurs avaient fait correctement leur travail, ils
auraient pu m’arrêter sur le parcours, plutôt que d’attendre la fin. Mais
bon, de toute façon, l’organisation a été défaillante». Jacky Murat ne
mâche pas ses mots. Il appuie là où cela fait mal. «Cette année-là, le
Grand Raid se terminait à la Possession. Cela reste le parcours le plus
long. Un parcours que j’ai survolé», ajoute-t-il. Avant de poursuivre :
«J’ai pris un gros coup derrière la tête. Ce n’est pas normal d’être
déclassé alors que l’on n’a absolument rien à se reprocher. Officiel ou
pas, ce classement, en 94, je l’avais gagné. Mais je suis passé à côté des
2 500 ou 3 000 francs de prime. A l’époque, j’étais au chômage. Cet
argent, cela m’aurait bien aidé». S’il assure ne pas courir après le
cachet, Jacky n’admet pas d’être passé à côté d’une somme qui lui était
due. «Cette course, hors du commun, il faut la préparer. Trois mois
auparavant, à peu près. Je l’avais bien dans la tête et dans les jambes.
La distance, très longue, me convient plutôt bien. D’ailleurs, l’année
d’après, j’ai terminé second».
«QUELQU’UN DE NET»
Derrière, une fois encore, Marie-Louise. «A l’arrivée, il a dit que c’était une vraie victoire, en comparaison de la
première. Par ces mots, il reconnaissait mon succès. D’ailleurs, je sens
bien qu’il regrette son geste. Personnellement, un coup comme cela, je ne
l’aurais jamais fait. Je suis quelqu’un de net, incapable de jouer avec
cela. Cette histoire, je l’aurais traînée comme un boulet pendant très
longtemps». Quand Murat croise Marie-Louise, l’électricité est, encore
aujourd’hui, palpable. «Quand on se voit, c’est un peu froid, sourit
Jacky. Nous ne sommes pas de grands potes, même si on se dit bonjour.
Finalement, je ne lui en veux pas. J’en veux plus à l’organisation qui n’a
jamais réellement reconnu mon succès. Elle disait que cela discréditerait
la course par rapport aux médias, aux sponsors. Mais bon, quand on commet
une erreur, on l’assume». Un brin orgueilleux, Jacky Murat conserve dans
un coin de la tête cette année 94 qui l’a vu voler à travers la Réunion.
«Ce n’est certainement pas après la médaille et les honneurs que je
courais, lâche-t-il. Dès que je gagne quelque chose, je le donne. A peine
vais-je conserver les coupures de presse. D’ailleurs, j’ai une cassette à
la maison où l’on me voit courir. Eh bien, je n’arrive pas à me regarder.
Je suis gêné. Je n’ai jamais pu comprendre pourquoi. C’est ainsi, je suis
comme ça».
MOINS ENVIE
A
tout juste 48 ans, Jacky ne devrait plus flirter avec la première marche
du podium sur le Grand Raid. Quoique : «Une victoire est encore possible,
assure-t-il, même si cela devient chaque année un peu plus compliqué. En
plus, mon travail communal me fatigue. Je ne parviens plus à m’entraîner
comme avant. Le soir, lorsque je dois aller courir, je manque parfois de
force. J’ai vraiment baissé mon rythme d’entraînement». L’an dernier,
encore bien placé (4e), Jacky s’est montré. Cette année, il ne semble pas
prêt à lutter avec les meilleurs. «C’est le marathon de Saint-Paul, début
septembre, qui retient mon attention, glisse-t-il. J’espère descendre en
dessous des 2h40. Après, le Grand Raid, j’aurai le temps d’y
penser». On ne sent plus la fougue dans sa voix. L’homme est-il blasé ?
Peut-être bien : «Le parcours, je le connais. Je n’ai plus autant envie
qu’avant. Même si je maîtrise les différents paramètres, je n’ai plus la
même motivation». Ce manque de jus vient principalement d’une
organisation qu’il juge défaillante. «C’est vrai, note-t-il. On privilégie
les coureurs de l’extérieur. Les Réunionnais passent après. C’est plus que
dommage. Pour s’inscrire, c’est tout un cirque. Seuls Charles Fontaine,
qui a fini second l’an dernier, et moi-même avons pu obtenir des places
dans mon club, explique-t-il, amer. J’aime pas ça. C’est stressant de
s’inscrire. Beaucoup ne sont pas contents. J’espère qu’ils ne feront rien
qui puisse nuire à l’épreuve». S’il dit clairement cela, on ne le
sentirait pas gêné de voir certains de ses camarades embêter
l’organisation. «J’entends çà et là que des coureurs pourraient boucher le
sentier, avance-t-il. D’autres émettent l’idée de partir une heure ou deux
avant le départ réel. Vous vous rendez compte : 600 personnes n’ont pu
obtenir une place. Cette course à la Réunion barre son accès aux
Réunionnais». Il est virulent Jacky Murat. Et on le comprend : «Quand
certaines choses me paraissent anormales, je me dois de les dénoncer». Et
croyez-nous, il ne se prive pas…
Ludovic Matten
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