Le Marathon des Sables. Le seul nom de cette course provoque chez le coureur à pied un subtil dosage de fascination et d'appréhension.
La plupart des participants n'ont jamais effectué d'épreuve longue de plus de 42 km, n'ont que quelques sorties d'entrainement au compteur avec un sac à dos. La quasi-totalité fixe avec angoisse la porte vers les immensités ocre et jaunes que forme l'arche gonflable du premier départ.
Six étapes, sept jours de course, 226 km de désert.
L'équation pour remplir le sac à dos qui contient l'intégralité de ses moyens de subsistance pour la semaine a empêché bien des aspirants à l'aventure de dormir.
Pourtant, ici, avec l'aide des « vétérans » tout semble plus simple. Les néophytes apprennent, observent les gestes lents de ceux qui savent déjà qu'ici, se précipiter ne sert à rien; que seul l'essentiel est utile pour ces quelques jours durant lesquels le dépouillement conduit à une solidarité qui offre autant de bonheur que le résultat sportif.
« Demain mon rêve prendra réalité » songe chacun au cours de la nuit spartiate, à tenter de s'endormir, grelottant dans le froid en comptant les étoiles qui brillent à travers la toile usée de la tente.
La première étape de 26 km offre un parcours plutôt roulant, avec le vent dans le dos. Premiers souvenirs de course, de puits sur le bord de la piste, de petites montagnes aux sommets aplatis. Il ne fait pas très chaud
: un peu plus de 30°C. Si les premières ampoules apparaissent sur les pieds, accompagnées de quelques irritations aux points de frottement du sac à dos, l'ambiance est plutôt bon enfant. Au soir de cette première
étape, chacun prend ses marques dans la tente où l'on partage l'espace ouvert avec sept autres camarades souvent choisis par le sort. C'est pour certains le début d'une véritable amitié. Ici, le chef d'entreprise, l'ouvrier, l'artiste, le chômeur, le médecin .., chacun n'existe que dans l'uniformité du minimum à emporter. Serrés les uns contre les autres pour lutter contre le froid et le vent de la nuit il n'y a plus de grade, de couche sociale, de fortune, de force. Même le classement devient un jeu qui ne prime jamais sur l'aventure humaine. Ce premier bivouac est une révélation pour beaucoup et l'ambiance est optimiste autour des feux qui se démarquent peu à peu dans la lumière du couchant. Pourtant le vent est toujours là. Et déjà la rumeur rampe de sacs de couchage en cuisines improvisées : « Si le vent continue à souffler comme cela, on l'aura de face tout au long de la course. ..»
Ce sont les deux jours suivants, pour 36, puis 31 km qui sont le véritable apprentissage du désert. Le sable cingle les jambes, les visages et les bras, comme autant de piqûres d'un invisible essaim. Les jambes apprennent à courir dans les dunettes, à contourner
les endroits les plus mous, pour quelques centaines de mètres plus loin tenter de garder des foulées régulières dans des champs de cailloux, qui usent autant les membres inférieurs que l'esprit concentré à éviter les plus gros obstacles. Le passage dans la palmeraie puis dans la casbah du village de Mhâmid El Rhozlane apporte un peu de fraîcheur dans la troisième étape. Les coureurs répondent au salut de meutes d'enfants hilares et dépenaillés. C'est le premier contact avec la population, les premiers souvenirs qui se gravent. Pour les Cauchois par exemple ; Georges 52 ans a déjà trois Gauloises, deux Elf Authentique, trois Cameroun et d'autres épreuves comparables à son actif. Le marathon des Sables c'est une première pour tous les deux. Ils partagent le même sourire pour évoquer la palmeraie et le village « tous les habitants dehors, pour nous applaudir dans les ruelles serrées. ..» Las. Il faut reprendre sa course solitaire sous le soleil, enveloppé par les volutes blanches qui tourbillonnent. Les nez, les oreilles se bouchent de la poussière qui s'accumule au fil des heures de course, mais aussi au bivouac.
Les Docs Trotters accueillent de plus en plus de monde, chaque soir, dans le poste médical avancé, qui prodigue les petits soins ou à l'immense clinique de toile qui abrite infirmières, médecins, orthopédistes et ostéopathes. Surtout en cette veille de l'étape longue de 71 km pour aller de l'oued N'am au lac Iriki, en passant par un champ de dunes de 130 mètres de haut sur 20 km de long
: l'erg Mhâzil. À l'exception des derniers kilomètres sur le lac asséché le reste du parcours est également très dur, puisque sur la totalité de cette étape, il y a presque quarante kilomètres de sable. Au CP 5, à l'entrée des dunes, les coureurs ont déjà pris cette teinte ocre caractéristique de l'exposition continuelle à la poussière véhiculée par ce vent maudit. Après le ravitaillement en eau c'est l'assaut des dunes immenses. Dix fois, cinquante fois, cent fois, il faut recommencer l'ascension des pentes friables dans lesquelles les coureurs tracent une mince corniche qui s'effondre. A chaque dune, au passage de la crête, il faut affronter le souffle puissant qui vous dégueule littéralement cet air surchargé de sable, qui étouffe, brûle les yeux et fait tituber. Malheur à celui qui est déjà blessé, dont les tendons crissent d'inflammation, celui dont les muscles se nouent. Il faut sortir de ces dunes avant la nuit. C'est la course folle contre la chute du soleil pour ceux qui le peuvent encore. C'est le calvaire pour ceux, pas assez rapides, qui sont prisonniers de ces murs obliques dans l'obscurité. Car il ne reste alors de solution que de grimper
les dunes une par une, à quatre pattes, la boussole éclairée par la lampe frontale, avec les cuisses qui se tétanisent et le froid qui tombe.
L'arrivée nocturne ressemble à la retraite d'une armée de spectres émergeant du néant. Les coureurs se sont regroupés d'instinct pour avancer, courbés contre les éléments. Ils se tiennent les uns aux autres, beaucoup quasi aveugles, les yeux enflammés de poussière. La tempête durera vingt-quatre heures.
Si le soleil a été moins sélectif que durant les éditions précédentes, cette étape de 71 km restera à jamais imprimée dans les mémoires comme la plus dure. Le vent la pluie le sable, la nuit ... L'angoisse à l'arrivée pour Jean-Pierre, venu avec Karine sa compagne; ils courent séparément « alors l'attente est difficile quand j'ai passé la ligne...» Elle tiendra jusqu'au bout. Mathilde, la benjamine 2002 du haut de ses 16 ans, connaîtra aussi la difficulté de passer les dunes de nuit, à genoux « mon pire souvenir, mais aussi le plus beau ». Elle fait partie des marcheurs du marathon faisant équipe avec son père qui en a déjà couru quatre. Au bivouac, les tentes s'organisent, vivent en monde clos, nous découpons les montants en bois et les piquets pour alimenter le feu. Recroquevillés dans les duvets qui se couvrent d'une uniforme et épaisse couche claire, les coureurs assourdis par le bruit continuel du souffle fou ressemblent à autant de cocons d'une improbable termitière. Et puis cela s'arrête. C'est d'abord le silence relatif qui s'installe, puis c'est le bruit du camp qui renaît : des rires, des gamelles.
La course est prête à repartir.
L'étape de 42 km, malgré les blessures, la faim, le manque de sommeil et la fatigue, paraît plus facile au sortir de l'épreuve du vent. Enfin il est possible de découvrir des paysages époustouflants, de longer des montagnes qui forment un Colorado face à une palmeraie sans nom. « La plus belle » pour beaucoup. Comme René, ce pompier de Montréal qui court avec Serge et Maurice pour les grands brûlés. Sortis du vent de sable, on a vu enfin le beau côté du désert, les paysages magnifiques.
« Comme une récompense. Et puis on arrive! »
C'est la fin. Les coureurs sont émus avant de partir pour les 20 km de l'ultime journée.
Pour ceux qui en ont gardé sous le pied, comme les quatre de l'équipe Gemplus étonnamment frais au terme de l'épreuve - ils se sont préparés avec un plan d'entraînement Ultra Marathon de Jogging
! - c'est le moment de se lâcher. A l'image de tant d'autres ils allongent la foulée, oublient les douleurs et les souffrances, occultent l'enfer des tourbillons de sable.
Les visages marqués sourient d'un bonheur silencieux, les yeux brillent d'avoir appris tant de choses sur soi-même, d'avoir aimé ces immensités hostiles, d'avoir partagé l'essentiel, les trois fois rien qu'il restait de bien matériel. Les larmes qui coulent à l'arrivée trahissent la peine de devoir bientôt se séparer, la tristesse que l'aventure soit finie, mais avant tout le bonheur d'avoir vécu le mythe.
Texte Chant des Pistes Photos Carlo Zaglia (Cimbaly) et Bruno Lacroix.
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